vendredi 24 février 2012

Falun Gong, la tentation du politique


Texte de Marie-France Vaillancourt


Palmer, David. « Falun Gong, la tentation du politique », Critique internationale, no 11, avril 2001, p. 36-43.


David Palmer est titulaire d’un doctorat de l’École pratique des Hautes études et est également diplômé de la London School of Economics and Political Science. Il est responsable du Centre de l’École française d’Extrême-Orient à Hong Kong. Ses recherches ont grandement porté sur la situation du qigong, comme en témoigne cet article, rédigé pendant la rédaction de sa thèse pour la Section des sciences religieuses de l’ÉHESS portant sur l’histoire des réseaux de qigong en Chine moderne.


Palmer présente donc l’évolution de la perception du PCC à propos du qigong et du Falun Gong à travers le temps. Le mouvement a pris une tangente plus ou moins surprenante en devenant le principal mouvement d’opposition au gouvernement. « Plus ou moins », car il y a eu un historique palpable de rébellions par des groupes jugés sectaires à travers les époques.
Après une certaine période de répression, les traditions sectaires connurent un regain à travers les traditions de gymnastique respiratoire et de méditation. Mettant de côté les éléments religieux qui y étaient associées, ces techniques furent adoptées par un bon nombre de cadres du Parti. Dans un contexte où la médecine moderne, jugée trop « occidentale », inspirait une grande hostilité, les thérapies issues des traditions populaires et chinoises étaient vues d’un bon œil, ce qui aida grandement à leur diffusion jusqu’aux répressions de la Révolution culturelle. La plupart des institutions officielles associées au qigong furent alors fermées, pour cause de diffusion de « superstitions féodales ».

Après une période de transmission plus secrète, la pratique dans les parcs publics au début des années 70 provoqua une nouvelle diffusion rapide. Les aptitudes sensationnalistes qui commencèrent à être vantées par la pratique du qigong vinrent donner une nouvelle impulsion au mouvement, qui trouva écho auprès d’une science chinoise qui cherchait à se distinguer sur la scène internationale et être « à l’avant-garde d’une nouvelle révolution scientifique mondiale ».
C’est au début des années 90 que Li Hongzhi et le Falun Gong firent leur entrée en scène. Son innovation fut de combiner les techniques à une doctrine moraliste, messianiste et apocalyptique. En parallèle à cela, certains chercheurs commencèrent à dénoncer le regain des superstitions et de la pseudoscience mise en œuvre pour les appuyer. Le gouvernement chercha alors à remettre le mouvement en ordre, principalement en s’attaquant aux établissements qui s’éloignaient trop du marxisme. Il y eut alors un exode des maîtres qigong en Occident.
La Chine espérait utiliser les techniques physiques et méditatives pour la construction socialiste et une révolution scientifique à la chinoise, mais le tout s’avéra être un échec, puisque la remontée de différents mouvements sectaires et autres organisations indépendantes de l’État créa une société parallèle, qui échappait aisément au contrôle. Le Falun Gong réorienta le qigong dans un aspect plus sectaire et religieux : il se présenta comme une nouvelle loi de l’Univers, dépassant tout et se présentant comme la seule voie de salut en cas d’Apocalypse.
Malgré ce regain de l’aspect superstitieux que l’État cherche à enrayer, le Falun Gong n’hésite pas à s’imposer publiquement. Puisque le Parti tenait à la gymnastique peu coûteuse du qigong pour sa population vieillissante, il n’osa pas trop protester ni intervenir. Toutefois, en 1999, après une manifestation devant le siège du pouvoir central, le Parti décida de décréter l’interdiction du Falun Gong. Le mouvement devint alors clandestin, sans cesser de narguer le pouvoir et d’attirer l’attention des médias internationaux.


Le Falun Gong a permis de révéler certains problèmes de fond au sein de la société communiste chinoise. Malgré le matérialisme prôné par la doctrine marxiste communiste, il faut d’abord admettre que la vie spirituelle demeure importante au sein de la population. Le qigong était devenu une avenue légitime pour exprimer ce besoin, mais avec l’interdiction des mouvements, la crise de la foi reste toujours aussi présente.
La société civile est également plutôt affaiblie, alors que la sphère économique s’est développée sans lui permettre de trouver l’autonomie. Le qigong, puis le Falun Gong, permirent aux gens de trouver une certaine cohésion à travers des occasions de rassemblement. Or, le mouvement, qui gagna de l’ampleur et qui se développait à l’extérieur du contrôle du Parti, ne put faire autrement qu’attirer la méfiance, devenant une menace pour le monopole de l’État. Le tout provoqua rapidement la confrontation entre les deux organisations, alors que le Falun Gong démontra qu’il ne craignait pas d’affronter le pouvoir en place.


En fin de compte, le mouvement donna une chance à la société chinoise d’obtenir un cadre de socialisation qui est plutôt inexistant depuis toutes les révolutions politiques et économiques. Or, avec la répression qui sévit depuis 1999, provoquée par la crainte de l’État de voir le mouvement l’ébranler de façon définitive, le vide social demeure. Bien que l’aspect moraliste de la doctrine qui avait été ajouté à l’aspect gymnastique puisse être relié aux superstitions que le Parti cherchait à enrayer, il faut comprendre que les motivations pour reléguer le mouvement dans l’interdit furent davantage liées à une crainte de perdre le pouvoir.
Le texte de David Palmer nous permet de mieux saisir les raisons qui ont mené l’État à classer le qigong et le Falun Gong comme étant des organismes sectaires. Au-delà de l’aspect surnaturel de certains effets de la méditation et des superstitions liées à l’Apocalypse, l’État s’est principalement tourné vers cette option afin de se protéger d’une organisation qui mettait en péril son emprise sur la société chinoise et son monopole du contrôle et des organisations. Apposer l’étiquette de secte à un groupe menaçant est ainsi une avenue relativement simple pour se débarrasser d’obstacles problématiques.

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